Hélène Leclair – conseillère en économie sociale et familiale
Entretien mené par Flora Vincent, le 24 février 2022 à la Maison du Lien de de la solidarité, Maxéville.
1. Pouvez-vous décrire votre travail ? (Ses atouts, difficultés, représentations dans la société actuelle avec notamment les stéréotypes et préjugés ?)
Je suis conseillère en économie sociale et familiale : nous sommes définis comme les « experts du quotidien », c’est-à-dire que nous accompagnons des personnes dans leurs démarches administratives, cela peut être dans l’organisation à la maison, l’organisation du frigo, les courses ou encore autour du budget donc tout ce qui est en lien avec le quotidien. On peut intervenir soit au domicile des personnes soit en face-à-face en entretien au sein de nos structures ou travailler aussi dans des lieux d’hébergement (type : Centre d’hébergement d’urgence, Foyer jeunes travailleurs, Centre d’Accueil de Jour, etc.)
Au niveau du travail social, nous faisons du suivi individuel avec les personnes mais nous pouvons aussi être amenés à faire du collectif à travers des actions de prévention, de l’animation qui peut être en lien avec le quotidien, par exemple on peut proposer un atelier autour de la gestion du budget, autour de l’alimentation, de l’équilibre alimentaire. On peut par exemple faire un atelier collectif sur « comment remplir ma déclaration d’impôts », des choses qui peuvent être un peu basiques mais qui peuvent mettre en difficulté certaines personnes.
Au niveau du CCAS, on fait de l’individuel et du collectif et nous faisons principalement des rendez-vous au bureau, on se déplace au domicile quand il y a besoin, comme une personne qui n’est pas en possibilité de se déplacer. Au niveau individuel, au CCAS, on va par exemple accompagner une personne pour faire une demande d’APL, une demande de RSA, ou encore renouveler une complémentaire santé solidaire, faire une demande de renouvellement de titre de séjour. Quant au niveau budget, on peut aider une personne à déposer une demande d’aide financière après un retard de paiement de loyer ou de facture EDF. On fait également tout ce qui est aide alimentaire donc s’il y a nécessité, on peut demander un accès à l’épicerie de Maxéville, sous forme de colis gratuits. On fait également des demandes d’accès, d’autres participations financières, dans ce cas c’est mon collègue ou moi-même qui sommes présents à la commission : on ne donne pas notre avis pendant la commission mais le dossier doit être présenté par un travailleur social du CCAS. A savoir que le poste que j’occupe n’est pas un poste spécifique de conseillère en économie sociale et familiale, mon collègue est éducateur spécialisé, et une assistante sociale pourrait aussi occuper ce poste.
Au niveau du collectif, je suis la coordinatrice qui met en place les ateliers collectifs. C’est selon la demande des habitants et par trimestre, nous allons changer la thématique. Dernièrement, il y avait une thématique autour du logement, récemment une thématique autour du bien-être et le trimestre prochain, c’est axé au niveau de la culture. Nous faisons donc un atelier tous les 15 jours en moyenne et en plus un atelier cuisine qui se rajoute un par mois animé par une bénévole de la banque alimentaire, l’objectif étant de réfléchir à comment on peut cuisiner avec ce qu’on a dans notre frigo donc on improvise : la bénévole arrive avec les produits et les participants improvisent un menu entrée-plat-dessert. Et quand le covid ne s’invite pas, le repas est partagé ensemble après, cela avait été un peu suspendu mais maintenant ça reprend un peu. Les personnes apprécient l’atelier cuisine, c’est un temps d’échanges, de partage, chacun raconte ses anecdotes, ses coutumes culturelles, c’est une ambiance conviviale. Tout est sur base de bénévolat et les ateliers ouverts en priorité aux personnes bénéficiaires de l’épicerie alimentaire mais aussi à tous les Maxévillois.
Les difficultés que l’on peut rencontrer sont les côtés administratifs, le fait qu’il y a certaines démarches qui prennent du temps auprès de différents organismes, de plus, la règlementation change souvent, ce qui fait que les situations changent d’un moment à l’autre et on se retrouve démunis pour apporter des réponses aux personnes. Une autre difficulté peut être la barrière de la langue, certaines personnes peuvent être en difficulté, après on trouve des solutions comme utiliser google traduction ou certaines personnes viennent accompagnées. La principale difficulté est la lenteur administrative ce qui peut être compliqué car tout prend du retard ; par exemple une personne qui vient pour des démarches comme un titre de séjour, le temps que la demande soit traitée, parfois tout est suspendu donc il n’y a plus de droit CAF, il n’y a plus rien donc la personne se retrouve sans ressource même si on essaye de pallier comme on peut, on n’a malheureusement pas de baguette magique.
En entretien, certaines personnes me qualifient de béquille, en accident de parcours on est un peu la béquille. Parfois on peut être considérés comme superman sauf qu’on n’a pas de baguette magique donc on fait ce qu’on peut. On n’a pas la solution à tous les problèmes, on peut essayer de pallier certaines difficultés mais on n’a pas toujours toutes les réponses. Après je pense que les personnes savent où nous trouver, ce n’est pas toujours facile de faire le premier pas pour aller voir un travailleur social, quand on vient pour parler de ses difficultés, ce n’est jamais facile parce que quand on constitue les dossiers, on est obligés de creuser un peu, de demander des papiers qui peuvent être perçus comme un peu trop personnels. Et puis, dire qu’on n’a plus rien dans le frigo, ce n’est pas facile donc nous c’est ce qu’on essaye de mettre en avant, si ces aides existent c’est que certaines personnes en ont besoin et que personne n’est à l’abri, moi aussi je peux me retrouver demain devant un travailleur social pour x raisons et c’est, je pense, ce qui peut freiner certaines personnes.
De manière globale, je pense qu’il y a un manque de reconnaissance des travailleurs sociaux, au niveau de la société de manière générale.
En tant que CESF, on a un métier assez similaire d’assistant social et les assistants sociaux sont principalement des femmes aussi alors pourquoi il y a aussi peu d’hommes, c’est une très bonne question. En tant que CESF, c’est deux ans de BTS et un an de diplôme d’état. En BTS c’est très technique, c’est-à-dire que tu apprends le papier peint, les différents papiers peints qui existent, les différents sols que tu peux poser dans ta pièce, comment marche une machine à laver, c’est très quotidien, est-ce que ce genre de choses n’attire pas le public masculin ? Peut-être. Ce sont des professions très féminines et c’est dommage car la mixité apporte beaucoup, elle permet d’avoir différentes approches.
De plus, peu de personnes connaissent le métier de CESF, ce métier n’est pas connu au même titre qu’assistant social.
2. Qu’est-ce qui vous motive dans votre emploi ?
Le côté positif c’est le fait qu’il n’y ait pas de routine dans le travail social. Je pense que peu importe le poste que tu occupes quand tu es travailleur social, du moins de par mon expérience, je n’ai pas l’impression qu’on puisse se retrouver dans une routine car tu retrouves tout le temps des personnes différentes, avec des problématiques différentes. Au CCAS, quand une personne arrive, tu sais la raison principale mais tu ne sais pas trop ce qui peut être demandé, de plus, d’une aide découle une autre demande ou un autre questionnement et je trouve cela très intéressant.
Ce que j’apprécie aussi c’est le côté multiculturel des personnes qu’on rencontre dans notre travail, tout le monde a des anecdotes sur sa manière de faire dans son pays et je trouve cela très enrichissant humainement, j’apprends aussi plein de choses sur les cultures, sur la manière de faire. C’est le côté humain qui m’intéresse, c’est le cœur de métier le contact avec les personnes. Le jour où tu n’as plus ce plaisir d’accompagner l’humain, c’est qu’il est temps de réfléchir à une autre orientation professionnelle.
3. Comment votre métier a-t-il évolué par rapport au covid ? Comment percevez-vous votre métier dans 10 ans ou dans 20 ans ?
Au moment du premier confinement, lors du COVID en 2020, j’étais CESF dans une association en lien avec le logement. Je travaillais pour deux bailleurs sociaux donc au niveau du service social, on accompagnait les locataires qui pouvaient se retrouver en difficulté, ça pouvait être des problèmes de voisinage, des problèmes de savoir habiter dans le logement ou des problèmes d’impayés donc on est aussi là pour faire le lien avec les bailleurs, pour trouver des solutions au mieux et limiter le début des procédures qui pourraient se mettre en place. A l’inverse du CCAS, on était tout le temps au domicile des locataires, on les recevait très peu, c’était une volonté de l’association d’aller vers les gens et donc de les rencontrer dans leur environnement, ce qui permet aussi de découvrir beaucoup de choses, on les découvre dans un lieu qu’ils connaissent donc parfois c’est plus simple mais pas forcément car certains ne veulent pas qu’on rentre chez eux donc on trouve des alternatives. C’est enrichissant aussi d’aller au domicile, c’est quelque chose qui me plaît d’être au domicile.
Au moment du début du COVID, tout a été un peu mis en suspens, les visites à domicile ne pouvaient plus avoir lieu, l’absence des collègues du fait du COVID. Il faut savoir que l’association dans laquelle je travaillais sur Nancy existait aussi sur Metz sauf qu’en plus ils avaient des foyers d’hébergement sauf que les foyers d’hébergement, covid ou pas, ils sont occupés et il faut aussi du personnel pour pouvoir accompagner les résidents. Donc pendant le covid, nous avons été amenés à aller sur Metz très régulièrement, on alternait entre télétravail et renfort à Metz et alentours pour être sur les lieux d’hébergement. Je suis donc allée à différents endroits, dans soit des résidences soit des foyers d’hébergement avec différents publics où on rencontrait beaucoup la barrière de la langue. Il a donc fallu beaucoup expliquer ce qui se passait, à ce moment-là il y avait l’attestation pour sortir que tout le monde ne comprenait pas, il y avait des structures qui expliquaient cela. De plus, les gestes barrières n’étaient pas respectés non plus parce qu’en foyer d’hébergement ils sont cinq dans une même chambre avec des couloirs très étroits donc tout le monde s’entrecroise. Même si l’accès était limité, certains ne comprenaient pas ce qui se passait et continuaient finalement de vivre comme avant sans se rendre compte de ce qui se passait. Il a donc fallu un peu faire respecter le cadre, les nouvelles règles, il y a des choses qui ont changé car toutes les démarches CPAM, CAF se sont retrouvées au ralenti voire complètement suspendues donc des personnes n’avaient plus de droit et il fallait pallier à ça. Des personnes se retrouvaient avec un besoin d’aide alimentaire, il a donc fallu trouver des solutions, d’autant plus que c’était nouveau pour tout le monde et qu’il fallait donc équiper mieux le personnel et les personnes hébergées ; j’ai eu de la chance d’être dans une association qui avait déjà ce qu’il fallait : j’ai travaillé sur le terrain et j’ai eu des masques et des gants dès le début donc je ne me suis pas sentie en insécurité par rapport au covid. Mais les personnes hébergées ne comprenaient pas forcément ce qui se passait en plus de la barrière de la langue et des familles qui étaient présentes, ce qui voulait dire plus d’école, des familles qui recevaient les devoirs par ordinateur, par mail sauf qu’ils n’avaient pas d’ordinateur pour imprimer donc il fallait imprimer ça et accompagner au mieux les enfants pour faire les devoirs mais techniquement ce n’était pas possible, on ne pouvait pas se détacher pour accompagner les enfants dans leurs devoirs, on faisait l’essentiel pour que ça se déroule au mieux, faire en sorte que les démarches entreprises avant le covid ne s’arrêtent pas ou essayer de relancer les démarches administratives et pallier au côté financier quand on pouvait. Mais effectivement mes collègues et moi-même nous sommes retrouvés dans l’hébergement alors qu’on n’y avait jamais travaillé donc on découvrait aussi le fonctionnement d’un centre d’hébergement, d’un foyer et avec un public que tu ne côtoies pas forcément d’habitude. Après cela a été très enrichissant, au-delà du contexte covid, du stress et du fait de ne pas trop savoir où on va, on avance tous un peu à petits pas, cela a été très intéressant mais c’est vrai que projeté dans un monde que tu ne connais pas, que personne ne connaît non plus finalement, puisqu’on ne sait pas trop ce que donne le covid à cette époque-là, cela a été une période un peu compliquée et heureusement qu’il y a le soutien de l’équipe derrière.
Avec le covid, les démarches prennent plus de temps aussi. En tant que travailleur social, cela nous a ralenti dans nos dossiers mais toutes les institutions étaient au ralenti aussi car il y a d’autres priorités à ce moment donc il y a eu beaucoup de retard. Et on est de plus en plus dématérialisé, ce qui fait qu’on peut transmettre plus rapidement des informations via des mails ou des sites internet.
Sinon au niveau collectif, on est obligés de faire plus attention avec les personnes, tout est plus limité, on est vigilants sur les gestes barrières.
Au niveau de l’épicerie solidaire, on constate qu’il y avait beaucoup plus de bénéficiaires avant le covid, on en a moins maintenant mais on ne sait pas vraiment l’expliquer. Bien qu’on fasse des demandes d’aides financières pour des retards de loyers, des retards de facture, je n’ai pas encore le recul pour savoir s’il y en a plus ou moins qu’avant. Après certaines aides ont été débloquées au niveau de la caf, de pôle emploi au moment du covid. Alors est-ce que du fait que les personnes sortaient moins, ces aides qui leur ont été apportées leur ont permis de se mettre un peu à jour dans leur budget ? Peut-être, ça pourrait être une réponse. Ce qu’on constate, c’est vraiment au niveau de l’épicerie qu’il y a moins de demandes alors est-ce que les personnes vont ailleurs ? Est-ce qu’il n’y a pas de besoin ? Mais en même temps d’autres associations disent que le nombre de bénéficiaires a augmenté de leur côté alors est-ce qu’ils vont plus vers l’associatif et moins vers l’épicerie solidaire ? C’est peut-être une réponse.
Pendant le premier confinement, il y avait des personnes qui étaient plus dans la peur, qui ne voulaient plus sortir. Il n’y avait pas de comportements agressifs, pour certaines personnes c’était plus de l’agacement à cause de la lenteur des démarches, donc non dirigé contre nous spécialement.
Au niveau de l’employeur, nous avons été remerciés, financièrement aussi, pour notre investissement. A petite échelle on a été reconnus, à grande échelle il y a certains travailleurs sociaux dans certains domaines qui n’ont peut-être pas été assez mis en avant je pense.
Je pense que le métier existera toujours dans 10 ans ou 20 ans, qu’il y aura toujours des travailleurs sociaux, toujours des demandes et du besoin. J’espère que ça évoluera dans le bon sens c’est-à-dire avec plus de moyens matériels et financiers dans le social parce qu’on reste dans un domaine qui manque aussi de moyens et qu’on aurait besoin de plus de moyens pour accompagner les personnes. On manque aussi d’effectifs, des structures ont du mal à recruter aussi. Au niveau de la pratique, je pense que tout sera dématérialisé et je pense qu’on va se retrouver confrontés à des difficultés où un public précaire qui n’aurait pas accès à l’informatique ou un public plus âgé qui n’aurait pas de connexion internet va se retrouver bloqué à un moment donné. Après le numérique c’est dans l’air du temps et il y a des choses qui se débloquent pour se préparer au mieux à tout ça et je pense que c’est un déblocage qui arrivera forcément.
Est-ce qu’il y aura toujours les aides que nous avons actuellement ou est-ce que les budgets sont plus restreints et il y aura moins d’aide ? Est-ce qu’à l’inverse il y aura plus d’aides au niveau social qu’on pourra solliciter éventuellement ? Ce sera l’un ou l’autre, soit on se retrouvera un peu plus en difficulté parce qu’on aura moins de possibilité soit à l’inverse on aura plus de budget et on pourra solliciter plus d’organismes mais j’ai un doute quand même sur le fait qu’il y ait de plus en plus d’aides.
Il y a de l’emploi dans ce métier même si pour commencer ce sont souvent des emplois précaires, des emplois en CDD pour remplacer. J’encourage les personnes à faire ce métier, la chance dans ce métier c’est que si on venait à se lasser de nos missions, on aurait la possibilité d’exercer dans un tout autre cadre mais en restant sur un poste de CESF. J’ai aussi travaillé en centre de soins en addictologie, je suis partie travailler avec une association en lien avec le logement, maintenant je suis au CCAS donc c’est très enrichissant car c’est très large et j’apprends plein de choses. On peut aussi travailler en centre d’hébergement, ce qui est un accueil complètement différent avec le public, par exemple. Les diversités des missions qu’on peut avoir c’est très enrichissant et travailler sur la question du quotidien, ce n’est jamais monotone. On est tous concernés à un moment donné par un problème du quotidien et je trouve cela très intéressant, j’ai fait aussi ce travail car on travaille en équipe et j’ai besoin de cela, cela dépend des missions dont tu t’occupes mais tu te retrouves assez souvent en tant que travailleur social à travailler en équipe, avec les partenaires. Si quelqu’un pense à faire ce métier, il faut y aller.
On apprend plein de choses de par les usagers, de par notre travail, au niveau administratif. Ce n’est pas facile tous les jours car on est confrontés à des situations difficiles car certaines personnes ont des parcours difficiles, nous avons des humains en face de nous. Il faut avoir des qualités d’écoute, d’empathie et de bienveillance, ce sont vraiment les trois mots à retenir.