Hakima Trabelsi – Encadrante technique de chantier
Entretien mené par Flora Vincent, le 22 février 2022, dans les locaux deTricot couture service, 17 rue de Bavière à Vandœuvre-lès-Nancy.
- Pouvez-vous décrire votre travail (ses atouts, difficultés, représentations dans la société actuelle avec notamment les stéréotypes et préjugés ?)
Cela fait 17 ans que je suis à tricot couture service et depuis 2014 que je suis encadrante technique. Au début j’étais bénévole puis on m’a proposé de devenir salariée et j’ai accepté. Avant, j’étais donc salariée comme tous les autres en insertion et j’ai passé une formation à l’AFPA pour encadrant technique et après j’ai formé deux salariées qui sont maintenant des encadrantes techniques aussi et désormais je suis responsable des encadrantes techniques. J’essaye d’organiser le travail pour que celui-ci circule pareil dans les trois zones dans l’association, pour que personne ne se mette en difficulté et que tout le monde ait du travail et se sente bien. Donc j’essaye de bien organiser toutes les trois zones : la retouche des particuliers, le magasin et les créateurs qui ont fait des réalisations pour pas mal de clients. Je forme à la technique de la culture, aux difficultés, à réaliser des patrons. Je suis la dernière main dernière avant les clients, je contrôle tout avant de leur donner.
Il y a 6 permanents [personnes en CDI] et 20 salariés en insertion et nous sommes 4 encadrants techniques.
La seule chose difficile c’est la barrière de la langue car il y a des Afghans, il y a des Arméniens. Alors on a des cours de français qui sont donnés ici avec nos collègues et petit à petit, ils y arrivent à force d’entendre, d’écouter, toute la journée on parle ensemble. On communique beaucoup ensemble.
Pour recruter, au début on ne regarde pas si les personnes ont une base de couture, on regarde les dossiers sociaux, pour les aider à se mettre dans le chemin du travail. Puis après vient la couture, on est là pour les aider, pour leur apprendre à utiliser les machines, tout le monde a la capacité d’apprendre. On regarde surtout leur besoin d’être dans la société, d’être autonomes et de les mener vers le chemin du travail. Nous ne sommes pas une entreprise mais un chantier d’insertion. Les salariés restent au maximum 2 ans. On essaye de les accompagner, de voir ce qu’ils aiment, on les emporte pour faire des immersions, ils ne sont pas obligés de rester dans la couture. Dernièrement on avait une personne qui aimait bien l’espace vert, alors on l’a orientée et aujourd’hui elle travaille dans les espaces verts.
Lorsqu’on sait que quelqu’un veut travailler mais ne trouve pas de personne pour la tirer vers le haut, là on recrute. On recrute des jeunes mais aussi des personnes jusqu’à l’âge de la retraite.
Je suis avec eux, quand je sens qu’ils ne sont pas à l’aise avec une pièce, je leur donne quelque chose d’autre et à chaque fois on discute pour savoir ce qui leur plaît et ce qui ne leur plaît pas. Ça fait 17 ans, je n’ai jamais trouvé de personnes qui n’aiment pas la couture, que ce soient des hommes ou des femmes. Tout le monde est motivé, je le sens qu’ils veulent travailler. Même les personnes qui tremblaient au début piquent bien après, tracent bien. Il faut être motivé quand même, autonome pour qu’on arrive à travailler, il faut un peu de motivation.
Sinon pour le travail vraiment, pour moi personnellement je n’ai pas trouvé de difficultés. C’est vrai que pendant les confinements, juste on ne sait pas ce qu’est le covid, si c’est dans l’air, dans les poignées, on travaille dans le couvre-feu, tout ça fait peur au début. Mais petit à petit, c’est passé.
Sinon, je n’ai pas trouvé de difficultés. Au début, c’est vrai, quand j’étais encadrante, j’ai eu peur. Mais petit à petit, avec l’aide de la directrice, je n’ai pas trouvé de difficulté. Je suis à l’écoute, je ne suis pas très sévère, je suis souriante, à l’aise, j’essaye vraiment d’alléger le travail entre les salariés, d’être à l’écoute de tout le monde, de bien expliquer. Quand on est à l’écoute et qu’on passe bien l’information, y’a pas de souci.
- Qu’est-ce qui vous motive dans votre emploi ?
J’aime bien entendre les salariés me remercier de leur apprendre des choses, quand le client me félicite pour mon travail ça me fait vraiment du bien, ça fait plaisir. Je suis là pour donner quelque-chose qui ne va pas mourir, c’est la couture, on vit avec, dans toute notre vie on a besoin de la couture, on peut dire que ce sont les métiers les plus bas mais on en a besoin pour tout, pour nos habits, pour la voiture. Et j’aime bien quand les gens partent contents, moi je suis contente.
Il faut être à l’écoute de tout le monde et il faut avoir un bon cœur, il ne faut pas faire de différence avec les salariés, montrer et expliquer à tout le monde de la même façon. Il faut être sérieuse, comme une maman, il faut donner, donner et après il n’y a pas de problème.
3. Comment votre métier a-t-il évolué par rapport au covid ? Comment percevez-vous votre métier dans 10 ans ou dans 20 ans ?
Pendant le confinement, j’étais là pour rassurer les salariés. J’étais la première à venir, c’était un devoir comme tous les devoirs, il faut être ici et il y en a beaucoup qui ont répondu et même des bénévoles. C’est la crise, il faut être présent et on se rassurait les uns et les autres. On a respecté les barrières sanitaires : il y a trois personnes dans chaque salle, il y a un mètre de respecté, chacun travaille dans son coin, je faisais le tour, s’il y a un problème, je suis là. Tous les salariés sont venus bénévolement au début. C’était très important d’être présent, ils veulent aider même si au début on ne sait pas ce qu’est le covid exactement mais on sait que la seule chose qui nous couvre ce sont les masques donc on est partis sur les masques. Christine [Choné, la directrice] m’a appelée pour faire le patron d’un masque alors je l’ai fait puis le lendemain c’était parti, on a fait le prototype, c’était validé, après j’ai appelé quelques salariés qui étaient libres, qui sont venus ; juste j’ai appelé, ils sont venus, sans souci.
C’était des associations qui nous appelaient, après il y a eu la mairie de Vandoeuvre et aussi de Nancy, à Maxéville. On a eu beaucoup de commandes que ce soient des associations, Jeunes et cité, les mairies.
On a aidé pas mal d’associations mais il y a eu aussi des appels d’infirmières, de parents qui ont demandé pour les écoles, etc… C’était la seule solution, de travailler et de faire les masques donc on était présents, on a répondu à pas mal d’associations et il y a des médecins qui nous ont demandé des tabliers.
On a fait les masques pour 4F [Fabricant de maille] aussi et après les masques, on a fait des vestes pour les sans-abris, le patron est fait par eux et nous on a juste à piquer, on a fait les premiers prototypes aussi et après c’est Rotary [Association caritative qui œuvre pour améliorer les conditions de vie dans le monde] qui distribue les vestes. Ils ont des tissus spéciaux que nous on travaille, le tissu est étanche, élastique, coupe-vent. On a des commandes : par exemple, on a besoin d’une centaine de XL, une centaine de M, une centaine de S et on prépare. Les vestes sont étudiées auprès des personnes sans abri pour correspondre à leurs besoins.
On fait aussi des kits pour les jeunes mamans avec la mairie de Maxéville. J’ai fait le prototype avec les pochettes, les gants de toilette, les bavoirs, le lange, etc. C’était validé et on a pris le projet. Il y a plus de 200 pièces à faire.
Je ne veux pas penser à dans 10 ans ou dans 20 ans car vraiment je vais partir en retraite mais je suis contente car j’ai formé des salariés qui ont aimé ça, j’ai préparé des encadrantes qui sont vraiment motivées et ont bien appris, je suis derrière eux et vraiment quand ils me disent « grâce à toi, je suis arrivé à ce point », ça me fait plaisir, vraiment.
Je ne veux pas penser à la retraite parce-que j’ai vraiment passé de bons moments, même quand les salariés partent, ils m’appellent toujours pour me dire qu’ils ont bien aimé les moments qu’on a passés ensemble. Je remercie l’association de m’avoir autant donné, il faut vraiment avoir un bon cœur, être présent, ne pas reculer et être main dans la main avec les salariés.